jeudi 6 février 2014

Série de l'été: l'Agenda Ballande


La série de l'été continue avec l'agenda Ballande. A l'heure où les écoliers préparent leur cartable avec des agendas flambants neufs ou des cahiers de textes, il est bon de se rappeler l'importance qu'avait l'agenda Ballande dans la société calédonienne du siècle dernier.

Article publié par Témoignage d'un Passé dans LNC

La légende d’un siècle

A la fois guide pratique, catalogue publicitaire, carnet de bord et livre de chevet, les agendas Ballande nous disent bien plus sur la vie des Calédoniens qu’un manuel d’histoire. Mis bout à bout, ils livrent un saisissant résumé de l’évolution de la société.
Ouvrir un agenda Ballande, c’est un peu entrer par effraction dans l’intimité des aînés. Pendant près de cent ans, des milliers de Calédoniens ont consigné des morceaux de leur existence dans cette bible que l’ancêtre des hyper offrait à tous ses clients « en compte ».
Et toute la Calédonie s’approvisionnait chez Ballande, Samaritaine du pacifique où l’on achetait à crédit le gros sel, les cartouches, les lampes Pigeon, la viande, les vélos Manufrance, le café, les vêtements, les harnais à chevaux, la blouse grise de la rentrée des classes les plumes Sergent Major qui égratignaient la peau de l’index. Quand l’on feuillette ces ouvrages parcheminés par les années, des morceaux d’écriture, en pleins et déliés, à l’encre violette, semblent vouloir s’échapper des feuilles buvard qui les enserrent. Ils veulent nous dire la légende d’un siècle. Mis bout à bout, ils livrent à l’état brut le reflet de la société quotidienne et de son évolution. Une vraie portée où l’on accroche ce que l’on a sur le cœur et dans le porte-monnaie. Les anciens le faisaient avec simplicité, sans souci du style. En forme télégraphique, défilent les 130 bêtes que l’on a conduites à la rivière, la quinzaine du métayer qu’il faut régler, les deux lessives à étendre, les résultats des élections de Païta de 1923, le pain que l’on a cuit.
Ce carnet de bord d’une Calédonie laborieuse se double d’un journal intime. Faute d’autres papiers, c’est le vélin bas de gamme des agendas Ballande qui accueille les plaies à l’âme ou les petits bonheurs. Les maladies, les enterrements, les visites surprises d’une nièce, une naissance : voilà qui suffisait à nourrir une vie, lui donner assez de sens pour que cela soit écrit. Le Lexomil viendra plus tard. A la lueur des bougies, achetées chez Ballande évidemment, on s’épanchait également. Combien d’amours perdus y ont trouvé refuge ? Certains iront même plus loin dans l’autobiographie. La famille Creugnet a, par exemple, retrouvé une pile d’agendas dans lesquels Annie, une ancêtre, a écrit toute sa vie et décrit avec un sens aigu de l’observation la révolution architecturale de Nouméa. Ce testament est devenu roman.
Si l’on se précipitait chaque jour que janvier faisait, pour obtenir son agenda, c’est aussi parce qu’il regorgeait d’informations indispensables à la survie d’une population essentiellement rurale. Les premières blagues à deux balles qui égayaient le quotidien, les heures des marées, l’échelle de Richter pour les cyclones et toutes ces nouveautés venues de métropole que commercialisait la maison Ballande. Des dizaines de pages fleurent bon la réclame d’un autre temps. L’arôme Maggi, le chocolat Menier, la lessive Phénix, les corsets Le Furet, les cartouches pour fusils à six francs l’unité. Après-guerre apparaîtront les Solex, les cannes à pêche en fibre de verre, les machines à laver. Sur l’un des derniers agendas, celui de 1989, une pub en couleur vante l’esprit de liberté qu’insufflent les jeans Buffalo.
Depuis, le groupe a ventilé ses activités. Le Quo-Vadis et l’agenda électronique ont remplacé le Ballande dont la collection nous informe plus que n’importe quelle conférence d’un rat de bibliothèque. Elle renferme ces trajectoires qu’on ne raconte jamais. Des vies de comète, faites de besogne, de cuisinières Godin, de conserves Félix-Potin et de baisers volés.

 

Des dates incertaines

Difficile de dater l’édition du premier agenda Ballande. Les adhérents de l’association Témoignage d’un passé en possèdent un de 1911 sans garantir qu’il soit le premier. Le dernier serait celui de l’année 1989. Mais là encore, la minutie de ces militants de l’histoire locale leur interdit d’être formels.

 

« Si je ne suis pas mort de faim »

 Fils « d’un instituteur au bas de l’échelle », Jean-Claude Mermoud confesse que s’il n’est pas « mort de faim, c’est grâce à la maison Ballande, qui faisait crédit ». Il se souvient de sa maman « qui allait payer l’ardoise tous les deux mois ». La maison de commerce Ballande fut à son époque le seul organisme de crédit de Nouvelle-Calédonie, gageant les récoltes à venir des nouveaux arrivants venus tenter leur chance dans l’agriculture.

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