Rubrique « Objets de la Grande Guerre »
Le centenaire du plus
meurtrier des conflits du XXème siècle est l’occasion pour notre association de
présenter quelques objets que des familles calédoniennes nous ont confiés et
que nous souhaitons mettre à l’honneur par une petite série d’articles sur
notre blog ou sur notre page Facebook. Il ne s’agissait pas pour nous de ne montrer qu'un simple objet, mais bien de le replacer dans son contexte, et retrouver
son histoire, ou tout au moins celle de la personne qui le possédait alors.
Aujourd’hui :
le casque de Numa ENGLER
Ce casque a appartenu à Numa ENGLER et été offert à notre association
dans les années 1990 par sa fille, Madame Odile FOREST, lors d’une exposition à
la Maison du Combattant.
Numa ENGLER, est né
le 22 mai 1883 à Ouégoa.
Il est le fils de Jean,
Gustave ENGLER et de Anne, Elisabeth HENRY.
Il vit sur la Côte Ouest, à Oubatche,
lorsque la guerre éclate en 1914.
Bien qu’âgé de 32 ans à ce
moment-là et dispensé des obligations militaires, son âme ardemment patriotique
le pousse à se porter volontaire pour défendre la France en danger.
Parti de Nouméa par le
« SONTAY » le 23 avril 1915, avec le premier contingent calédonien,
il débarque à Marseille après soixante-trois jours de mer.
Il est dirigé, avec ses
camarades, sur Saint Maurice de Gourdans et le camp de la Valbonne, où il connaît
un entraînement intense et exténuant.
Calédoniens, Tahitiens et Hébridais au camp de la Valbonne. Numa est le second debout en partant de la gauche. (Collection Ronald MARTIN) |
En novembre 1915, le contingent est
séparé en deux parties. La plus importante est affectée à la 15ème
Division d’Infanterie Coloniale (5ème et 6ème Régiments
d’Infanterie Coloniale) sur le front français, et la seconde rejoint l’Armée
d’Orient à Salonique (dont les 3ème, 54ème et 56ème
Régiments d’Infanterie Coloniale).
Numa ENGLER, soldat de 2ème
classe affecté au 5ème Régiment d’Infanterie Coloniale, et d’âge
plus mûr, prend rapidement de l’ascendant sur ses camarades calédoniens,
réconfortant les plus faibles et tempérant l’ardeur des téméraires.
Le 4 septembre 1916, le 5ème
R.I.C. attaque l’ennemi en direction de Villers-Carbonnel, dans la Somme.
Le combat est terrible et
meurtrier. Emportés par l’action, les calédoniens ont rapidement atteint tous
leurs objectifs au prix de lourdes pertes, les morts sont nombreux. Mais
l’avance n’a pas été la même sur la gauche du 5ème R.I.C. dont le
flanc se trouve découvert et pris sous le feu de l’ennemi. Les blessés, en
gémissant, traînent lamentablement leurs chairs meurtries dans les tranchées
pour échapper à l’étreinte de l’étau ennemi qui fera de nombreux prisonniers.
Photo de studio de Numa ENGLER, posant coiffé du casque en vigueur dans l’armée française depuis le courant de l’année 1915, le casque Adrian. (Collection Odile FOREST) |
En face de Villers-Carbonnel,
Numa ENGLER est grièvement blessé à l’épaule. Durant de longs mois dans les
hôpitaux, il devra suivre des traitements douloureux. Son absence pèsera, dans
les tranchées, à ses camarades qui avaient pris l’habitude de le prendre
respectueusement pour un chef.
Couverture d’un courrier envoyé depuis la Métropole par Numa à son père Jean. (Collection Odile FOREST) |
Ré-affecté au Bataillon Mixte du
Pacifique, il retrouve les calédoniens sur le « GANGE » à Marseille, où il embarque le 11 avril 1917, comme
permissionnaire.
Le 17 avril, le navire est
torpillé et le contingent de permissionnaires est sauvé et débarqué à Bizerte
en Tunisie.
Quelques jours plus tard, les
calédoniens apprennent avec surprise que leur voyage ne se continuera pas vers la Nouvelle-Calédonie,
qu’ils vont rejoindre le front.
Devant cette injustice, Numa
ENGLER se révolte.
S’il a su dans le combat inciter
ses camarades à faire tout leur devoir, il ne tolèrera pas qu’il soit porté
atteinte à leurs droits légitimes.
Avec son courage civique qui
égale son courage de soldat, il prend la défense du Contingent Calédonien. Avec
quelques camarades, il demande une entrevue au Ministère, il prend contact avec
des parlementaires. Il se fait l’avocat de ses camarades.
Numa Engler n’est qu’un soldat de
deuxième classe, la tâche qu’il a entreprise est difficile, il court de grands
risques. Mais avec force et persévérance, il poursuit ses efforts, la cause
qu’il défend est juste, et il la défendra jusqu’au bout. Et ce qu’il ne ferait
pas pour lui, il le fera pour ses camarades.
Il arrive à convaincre et ses
efforts sont pleinement couronnés de succès. Les permissionnaires du
« GANGE » obtiennent entière satisfaction.
Revenu en Nouvelle-Calédonie, le
3 décembre 1917, il est renvoyé à titre provisoire à ses foyers le 11 décembre 1917. A la fin de la
guerre, il regagne Oubatche où vit sa famille et où son âme de terrien
l’attire. Il se marie.
Mais, animé d’un généreux esprit
collectiviste, il n’oublie pas ses camarades. Il travaille ardemment, comme
Représentant des Combattants Broussards, à la formation de l’Amicale des
Combattants de la Grande
Guerre 1914-1918. S’installant par la suite à Nouméa, il est
nommé le 25 janvier 1920, après René JOURDAIN, Président de cette Amicale,
poste qu’il occupera jusqu’au 21 février 1924.
Il aura aussi été Président du
Comité Calédonien et Conseiller technique de la Chambre d’Agriculture.
Il s’éteint le 7 novembre 1946, à
Sydney à l’âge de 64 ans, des suites d’une opération.
Il était une grande figure
calédonienne de l’entre-deux guerres, estimée tant à Nouméa que dans
l’intérieur.
Numa ENGLER, pour
son courage, a fait l’objet d’une citation :
5ème Régiment d’Infanterie Coloniale. Extrait de
l’ordre n° 249 du 30 décembre 1916.
Citation à l’ordre de l’Armée, du général commandant la Xème Armée :
« Dégagé par son âge et par sa situation de toute
obligation, s’est engagé pour la guerre et s’est toujours conduit de la façon
la plus brillante. Ayant acquis par son intelligence, sa haute valeur morale,
son calme et son énergie, une grande influence sur ses camarades, a été, le 4
septembre 1916, au cours d’un combat difficile, un modèle de bravoure et un
auxiliaire précieux pour son officier blessé ; a été blessé lui-même
grièvement au cours du combat. »
Cette citation lui donne droit à l’attribution de la Croix de Guerre
avec palme.
Il sera également détenteur de la Médaille Militaire
et de la Médaille
des blessés
Le casque :
En avril 1921, la France Australe
faisait paraître une annonce, sur demande des autorités militaires, incitant
quelques 280 poilus calédoniens qui n’avaient pas encore touché leur
« casque Adrian Souvenir » à se présenter à la Compagnie d’Infanterie
Coloniale n°1 afin de percevoir leur dû. Une liste nominative y était jointe.
En effet, cette liste concernait
les hommes rapatriés avant 1919, tandis que les autres poilus, présents en
métropole lors de la parution du décret du 18 décembre 1918, concédant le
casque souvenir, avaient déjà eu tout loisir de se le procurer sur place.
Le casque Adrian fût fabriqué à
des millions d’exemplaires et utilisé par de nombreuses nations durant la
première guerre mondiale. Il succédait à une simple calotte protège-tête
métallique (ou « cervelière »), placée sous le képi. Son introduction
protégea bien plus avantageusement les hommes des retombées générées par les
explosions.
On trouve aujourd’hui, dans de
nombreuses familles calédoniennes, ce symbole de la Grande Guerre accompagné d’une plaque souvenir en laiton
portant la mention « Soldat de la Grande Guerre 1914-1918 » précédée du nom et
du prénom de l’ancien combattant.
Lorsque l’on évoque auprès des
calédoniens les souvenirs de la guerre 14-18 qu’ils ont conservé de leur aïeul,
ce n’est pas sans fierté qu’ils disent : « moi, j’ai le casque de
poilu de mon grand-père ! ».
Comme nous l’avons vu plus haut, le casque qu’ont reçu de
nombreux calédoniens, notamment ceux rentrés avant la fin du conflit, n’est pas
celui qu’ils ont porté au combat. Ce dernier a été ré-intégré au fourrier du
Régiment avant le départ de Métropole.
Il n’en reste pas moins le symbole des anciens de la Grande Guerre, avec sa forme
particulière.
Celui de Numa ENGLER est de couleur dite
« Moutarde », une couleur qui est appliquée sur les casque des certaines
unités coloniales ou de la Légion Etrangère.
Les autres sont de différentes nuances de bleus.
Comme on peut le voir sur la photo ci-dessus, la plaque
souvenir en laiton vient se placer sur l’avant du casque, sur la visière. Un
trou à chaque extrémité de cette plaque permet de la fixer au casque.
Cependant, pour ce cas précis, le casque n’a pas été percé, la plaque devait
simplement être posée tel que sur la photo.
Le casque ne dispose plus de son insigne frontal en tôle
emboutie. Il ne reste plus que la coque, la jugulaire et la coiffe intérieure
ayant disparu.
Détail de la plaque souvenir, sur laquelle Numa ENGLER a
fait graver son nom et son prénom. L’ovale comportant la mention
pré-emboutie « Soldat de la Grande
Guerre 1914-1918 » est entourée des lauriers de la
gloire.
Sources et
remerciements :
-
Madame Odile
FOREST
-
Monsieur Ronald
MARTIN
-
Archives de la Nouvelle-Calédonie