La série de l'été continue avec l'agenda Ballande. A l'heure où les écoliers préparent leur cartable avec des agendas flambants neufs ou des cahiers de textes, il est bon de se rappeler l'importance qu'avait l'agenda Ballande dans la société calédonienne du siècle dernier.
Article publié par Témoignage d'un Passé dans LNC
La légende d’un siècle
A la fois guide pratique, catalogue publicitaire, carnet de
bord et livre de chevet, les agendas Ballande nous disent bien plus sur la vie
des Calédoniens qu’un manuel d’histoire. Mis bout à bout, ils livrent un
saisissant résumé de l’évolution de la société.
Ouvrir un agenda Ballande, c’est un peu entrer par
effraction dans l’intimité des aînés. Pendant près de cent ans, des milliers de
Calédoniens ont consigné des morceaux de leur existence dans cette bible que
l’ancêtre des hyper offrait à tous ses clients « en compte ».
Et toute la Calédonie s’approvisionnait chez Ballande,
Samaritaine du pacifique où l’on achetait à crédit le gros sel, les cartouches,
les lampes Pigeon, la viande, les vélos Manufrance, le café, les vêtements, les
harnais à chevaux, la blouse grise de la rentrée des classes les plumes Sergent
Major qui égratignaient la peau de l’index. Quand l’on feuillette ces ouvrages
parcheminés par les années, des morceaux d’écriture, en pleins et déliés, à
l’encre violette, semblent vouloir s’échapper des feuilles buvard qui les
enserrent. Ils veulent nous dire la légende d’un siècle. Mis bout à bout, ils
livrent à l’état brut le reflet de la société quotidienne et de son évolution.
Une vraie portée où l’on accroche ce que l’on a sur le cœur et dans le
porte-monnaie. Les anciens le faisaient avec simplicité, sans souci du style.
En forme télégraphique, défilent les 130 bêtes que l’on a conduites à la
rivière, la quinzaine du métayer qu’il faut régler, les deux lessives à
étendre, les résultats des élections de Païta de 1923, le pain que l’on a cuit.
Ce carnet de bord d’une Calédonie laborieuse se double d’un
journal intime. Faute d’autres papiers, c’est le vélin bas de gamme des agendas
Ballande qui accueille les plaies à l’âme ou les petits bonheurs. Les maladies,
les enterrements, les visites surprises d’une nièce, une naissance : voilà
qui suffisait à nourrir une vie, lui donner assez de sens pour que cela soit
écrit. Le Lexomil viendra plus tard. A la lueur des bougies, achetées chez
Ballande évidemment, on s’épanchait également. Combien d’amours perdus y ont
trouvé refuge ? Certains iront même plus loin dans l’autobiographie. La
famille Creugnet a, par exemple, retrouvé une pile d’agendas dans lesquels Annie,
une ancêtre, a écrit toute sa vie et décrit avec un sens aigu de l’observation
la révolution architecturale de Nouméa. Ce testament est devenu roman.
Si l’on se précipitait chaque jour que janvier faisait, pour
obtenir son agenda, c’est aussi parce qu’il regorgeait d’informations
indispensables à la survie d’une population essentiellement rurale. Les
premières blagues à deux balles qui égayaient le quotidien, les heures des marées,
l’échelle de Richter pour les cyclones et toutes ces nouveautés venues de
métropole que commercialisait la maison Ballande. Des dizaines de pages
fleurent bon la réclame d’un autre temps. L’arôme Maggi, le chocolat Menier, la
lessive Phénix, les corsets Le Furet, les cartouches pour fusils à six francs
l’unité. Après-guerre apparaîtront les Solex, les cannes à pêche en fibre de
verre, les machines à laver. Sur l’un des derniers agendas, celui de 1989, une
pub en couleur vante l’esprit de liberté qu’insufflent les jeans Buffalo.
Depuis, le groupe a ventilé ses activités. Le Quo-Vadis et
l’agenda électronique ont remplacé le Ballande dont la collection nous informe
plus que n’importe quelle conférence d’un rat de bibliothèque. Elle renferme
ces trajectoires qu’on ne raconte jamais. Des vies de comète, faites de
besogne, de cuisinières Godin, de conserves Félix-Potin et de baisers volés.
Des dates incertaines
Difficile de dater l’édition du premier agenda Ballande. Les
adhérents de l’association Témoignage d’un passé en possèdent un de 1911 sans
garantir qu’il soit le premier. Le dernier serait celui de l’année 1989. Mais
là encore, la minutie de ces militants de l’histoire locale leur interdit
d’être formels.
« Si je ne suis pas mort de faim »
Fils « d’un instituteur au bas de l’échelle »,
Jean-Claude Mermoud confesse que s’il n’est pas « mort de faim, c’est
grâce à la maison Ballande, qui faisait crédit ». Il se souvient de sa
maman « qui allait payer l’ardoise tous les deux mois ». La maison de commerce Ballande fut à son époque le seul
organisme de crédit de Nouvelle-Calédonie, gageant les récoltes à venir des
nouveaux arrivants venus tenter leur chance dans l’agriculture.